Bretagne, Ré, Hugo et carriole

Nous étions partis pour parcourir le canal de Nantes à Brest en cette fin du mois d’août 2007. Après un été ruisselant et déprimant, nous avions parié sur une météo plus clémente pour cette nouvelle expédition cyclotouriste, pour le baptême d’Hugo des voyages à pédales. Sur le papier, le tracé semblait agréable avec pas trop de dénivelés, le long de cours d’eau dans cette région ça ne pouvait qu’être tranquille. Le parcours va rapidement s’avérer tout autre, heureusement sous le soleil. Improvisation quand tu nous tiens !

Nous sommes le 20 août, près de Redon, et l’anticyclone des Açores, plutôt mou depuis le mois de juin, semble enfin être prêt à œuvrer. Après quelques jours de pluies abondantes, les yeux scrutant chaque jour le ciel, analysant le baromètre et les cartes météo, regardant nos sacoches dans notre chambre, enfin le soleil réussit à transpercer les vagues incessantes de nuages. Nous quittons le grand-père Georges (d’Estelle) à Redon et partons pour un aller-retour Redon Châteauneuf-Du-Faou, soit environ 500 km sur les chemins de halage le long de ce canal plutôt particulier. Pour ceux qui souhaitent découvrir ce parcours à vélo (ou à pied) il vous faut absolument emporter le Guide : Le canal de Nantes à Brest : Guide du randonneur. Avec lui, vous découvrirez le nom de chaque écluse, pourrez planifier vos hébergements, aurez une très bonne idée de l’histoire du canal, de la difficulté de sa mise en oeuvre dans une région qui ne parlait pas français au début du XIXe siècle et son impact sur le développement économique du centre de la Bretagne. A Redon, vous pouvez visiter un musée simple et bien fait sur le canal et l’univers de la batellerie.
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Nous voici donc partis. Les premiers coups de pédale nous excitent beaucoup. Notre dernier voyage à vélo remonte au mois d’avril 2006 dans le Perche Vendômois, soit une longue parenthèse de 16 mois pour un couple amoureux de voyages à vélo. Nous croisons rapidement nos premières écluses. Ce sont de mini forteresses toutes de granit vêtues. Afin de supporter le travail mécanique subi, le poids de certaines pierres peut atteindre la tonne et l’ouvrage dans son ensemble pèse 6 000 tonnes. Toutes très fleuries, les écluses offrent un contraste fort entre fragilité et puissance, couleurs chromatiques et achromatiques, l’éphémère reposant sur deux siècles d’existence.
Les premiers kilomètres se déroulent tranquillement. Puis Hugo commence à se manifester. Il semble que quelque chose le dérange : la bande de gazon au milieu du chemin. De ce fait, les roues de la carriole roulent chacune sur l’herbe et l’ambiance tape- cul ne lui plaît guère. Nous finissons les 7 derniers kilomètres de la première étape par une départementale (D147). Nous arrivons à Malestroit vers 20 h avec un Hugo qui s’est endormi enfin, doucement bercé dans son hamac. Nous sommes donc contraints de changer de parcours. Fort heureusement croise ici une voie verte aménagée sur le tracé d’une ancienne voie ferrée : Questembert – Mauron. Après avoir accepté l’idée d’abandonner ce projet qui nous tenait tant à cœur depuis quelques mois, nous passons une soirée fort agréable dans cette petite ville médiévale. Le dîner se déroule forcément dans une crêperie, en terrasse, il fait bon, nous sommes sur la route et donnons rendez-vous au canal dans 2 ou 3 ans.
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Pour quitter Malestroit, nous rencontrons quelques difficultés à trouver la voie verte car nous ne croisons aucun fléchage. Heureusement, l’usage de la langue française nous aide beaucoup auprès des autochtones. Longue de 53 km, cette voie cyclable offre un enrobé très roulant et un dénivelé pas très important. Afin d’éviter l’intrusion de véhicules à moteur, la piste est protégée à chaque croisement par un jeu de barrières et sas. Ce sont des obstacles pas trop gênants pour un vélo, sauf s’il est raccordé à une carriole. Il faut dans ce cas poser pied à terre et à manœuvrer à deux.

Nous faisons halte en deux endroits : près de Pleucadeuc chez le couple Piquet, éleveurs de vaches laitières, à la retraite et fort accueillants. Nous profitons le soir de leur cuisine, et Hugo d’un espace de jeu très bien fourni où il se sent tout à fait à son aise. Mme Piquet est assistante maternelle. Elle a ainsi gardé ses huit petits-enfants chez elle ! À Ploërmel, nous nous arrêtons dans un très bel hôtel au bord du lac. La prestation est de qualité, le restaurant notamment nous fait fort bonne impression. Mais tout est beaucoup trop aseptisé à notre goût. Nous regrettons l’accueil de nos retraités. Au bord d’un lac, nous allons aussi regretter la visite d’un moustique coriace qui prendra un malin plaisir à défigurer Hugo. Avant de rejoindre Pipriac, nous nous posons un dernier soir près du canal, dans un hôtel-restaurant en perte de vitesse : de grandes salles mais peu de clients, une patronne gentille mais dépassée par les évènements, des moquettes dans les couloirs sentant la moisissure et une chambre bien vide. Une nuit, c’est vite passé. Nous regagnons Pipriac et la maison de Georges par de petites routes. Et contre toute attente, le parcours est vallonné et varié, calme avec beaucoup de passages charmants. Nous glissons d’une vallée à une autre, petit train avec ses trois uniques passagers. L’allure varie de 25 à 5 km/h, tout dépend du sens de la pente. Et nous reconnaissons en fin de journée la petite route communale qui passe devant chez Georges. Fin de l’étape bretonne.
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Nous avons décidé de poursuivre notre séjour sur une île qui aime les vélos : Ré. Celle-ci est fort bien fournie avec 100 km de pistes. C’est véritablement le paradis du vélo : terrain facile d’accès, notamment en famille, pas de dénivelé et tracés variés entre côte, villages et marais salants. Si vous avez oublié votre vélo, carriole, tandem ou autre, pas de regrets : vous trouverez dans chaque ville plusieurs loueurs avec pléthore d’options. Les pistes sont très chargées semble-t-il durant les vacances d’été. Par contre, fin août et le début septembre, les axes sont relativement bien dégagés.

L’île de Ré mesure 30 km de long, 5 km de large et vue du ciel elle fait penser à une coquille d’escargot en partie déroulée. L’un de ses atouts majeurs : un ensoleillement digne de la cote méditerranéenne. Nous nous sommes installés à La Couarde-sur-Mer, à mi-chemin entre les deux extrémités. Pour vous donner quelques repères, le cordon omiblical (le pont) se trouve à l’est ainsi que de grandes forêts de pins et la séduisante ville de Saint-Martin-de-Ré. À l’ouest, environ 50 % des terres sont des marais salants, c’est-à-dire des terres gagnées sur la mer grâce au dépôt de sédiments au cours du dernier millénaire ainsi qu’au travail de l’homme. Le sel fut l’élément moteur du développement économique de l’île jusqu’au xixe siècle avec une majorité de clients dans les pays nordiques, poisson oblige. Nombre de bassins sont aujourd’hui à sec. Toute cette zone de marais héberge de nombreux migrateurs tels que aigrette garzette, pingouin torda, sterne, tadorne, gorge bleue ou avocette.

L’habitat traditionnel est dominé par la maison de pêcheur. Maison généralement modeste, elle est bâtie sur un seul niveau et nous avons le plaisir de loger dans l’une d’entre elles construite dans les années 1940, au charme intact malgré ses 67 années : murs enduits à la chaux, toiture de tuile, petite cour pour ranger vélos et carriole.

Rando n°1

Direction plein nord pour une expédition de reconnaissance. Après quelques hésitations, nous finissons par poser nos roues sur la piste recherchée. Les plans des villes sont plus labyrinthiques qu’haussmanniens. Cela fait partie de leur charme et nous donne beaucoup de chances de nous égarer. De l’autre côté de l’anneau routier, qui ceint La Couarde, s’étendent les vignobles de Ré (pineau, cognac, sauvignon et chardonnay). Au milieu de ces hectares de pieds, nous rencontrons un trafic consistant de cyclistes. À l’approche de Loix, la piste devient tortueuse, zigzague entre la digue sur notre droite et un patchwork de bassins à marais salants sur notre gauche. Comme chaque fin de journée, des pompes alimentent ces réceptacles. Il règne sur cette frontière une harmonie entre l’océan et une nature maîtrisée. Passé une écluse, nous entrons dans un nouveau plan labyrinthique, celui de Loix tramé par des murs blancs tachetés de volets verts. Les rues sont presque désertes. Seul le ressac, à quelques centaines de mètres, vient rythmer le silence.
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Rando n°2

Cap plein est pour rejoindre le pont par la côte sud. De petits trains se forment peu à peu sous les pins. La circulation cycliste est ici plus dense : des papas et mamans se déplacent avec leurs petits rouleurs parfois autonomes, en 3e roue ou comme Hugo dans leur carriole. On découvre à cette occasion une richesse et une densité d’espèces cyclistes assez exceptionnelles pour la France. Serait-ce une zone protégée pour la migration et la reproduction de l’espèce ? L’arrivée au pied du pont est impressionnante, cette gigantesque colonne vertébrale en courbe, magnifique stabile à la Calder. Le retour se fait par la côte nord : La Flotte puis Saint-Martin, place forte du marquis de Vauban. Nous prenons le temps de marcher sur les pavés de celle-ci autour de son port plein de charme, bien que très fréquenté. Nous reprenons la piste alors que le soleil commence à colorer différemment le ciel et la mer en cette fin de journée. Nous savourons les six derniers kilomètres le long du bord de mer sur une piste désertée. Hugo regarde étonné les mouvements de cette gigantesque baignoire.
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Rando 3

Aujourd’hui, nous prenons la direction opposée de la veille. Cela commence comme le premier jour par une longue ligne droite à travers les vignobles. Puis rapidement, on se retrouve à longer les marais salants. La juxtaposition de ces bassins offre au regard des trames complexes, des patchworks à une échelle qui nous dépasse mais qu’on imagine magnifiques vus du ciel. Les sols sont parfois asséchés, craquelés, saupoudrés d’or blanc, ou baignant dans l’eau accompagnés d’une végétation typique comme la salicorne. Certains bassins sont très fournis en oiseaux, parfois accompagnés d’un troupeau de moutons échoué là. Nous croisons sur notre route Ars-en-Ré, repère fort au milieu des marais. Le clocher de son église sert d’amer remarquable avec sa pointe noire et sa base peinte en blanc. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées se sont autorisé là une intervention graphique plutôt étonnante. Ainsi, l’église Saint-Étienne est-elle utile comme repère depuis 1807 aussi bien aux marins qui doivent emprunter un chenal pour rejoindre le port d’Ars-en-Ré, qu’aujourd’hui à nous cyclistes à travers les marais.

Nous pique-niquons à quelques coups de pédale du centre-ville, trop animé pour nous. Puis nous filons plus à l’ouest pour rendre visite à un autre repère maritime important : le phare des Baleines. Ce nom provient, semble-t-il, des baleines qui venaient s’échouer sur cette côte voici quelques siècles. Des bateaux connurent les mêmes désagréments, et l’administration des phares et balises décida d’ériger la tour des Baleines (1682) puis le phare (1854). Pour rejoindre le bout de l’île, Trousse-Chemise et La Patache, on traverse la forêt domaniale du Lizay avec une piste qui ondule et tangue doucement en longeant les plages de l’ouest. Pour le retour, nous prenons une route un peu différente qui traverse beaucoup plus les marais salants (la partie enroulée de l’escargot). Cette petite route passe devant la maison du Fier, nom de la petite mer formée par l’enroulement de cette partie de l’île. Il faut savoir que, à l’origine, Ré était formée de 3 ou 4 îlots. Au fur et à mesure du temps et des marées, ces îlots ont fini par se souder avec le dépôt d’alluvions argileuses, et ce après le Moyen Âge. Faute de temps et saisis par la beauté de cette partie de l’île, nous déciderons de repasser le lendemain. La maison du Fier est située au cœur de la Réserve naturelle dans les marais naturels qui hébergent jusqu’à 250 espèces. La LPO est responsable de cette zone géographique et propose dans cet ancien hangar à sel une exposition sur la faune et la flore des marais en particulier.
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Une petite semaine passe très vite dans cet environnement bien agréable, presque hors du temps. Même si Ré n’est plus une île, elle en garde encore l’atmosphère. Nous avons croisé une population fort agréable malgré ce succès touristique qui en fait son nouveau moteur économique. Tout comme pour le canal de Nantes à Brest, nous faisons le vœu de revenir poser nos vélos, carriole et tétines dans un an ou deux.

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Vieux proverbes bretons tirés du guide « Le Canal de Nantes à Brest ».
Ces proverbes sont un concentré de mauvaise foi grammaticale, de chouchenn et de lambig, comme le précise l’éditeur :

“Qui voit La Jonnelière,
rêve d’un tonneau de bière”
(La Jonnelière est un pont sur l’Erdre)

“En vélocipède sur le canal,
souvent aux fesses tu auras mal”

“Qui voit La Villaine,
n’est pas au bout de ses peines”

Quelques sites à consulter avant de préparer votre voyage.
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L’éditeur du Guide du Canal de Nantes à Brest écrit par Jacques Clouteau :

http://www.levieuxcrayon.com/CanalNB/CanalIndex.html

La voie verte de Mauron à Questembert :
http://www.voiesvertes.com/htm/detaille56mlq3.htm

Les cartes de l’île de Ré:
http://www.iledere.com/

La maison du Fier :
http://www.marais-salant.com/

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